L’angélus du soir

Stéphane Barthe
13 min readDec 25, 2017

Sortant de la médiathèque, je m’engage dans la rue qui descend vers l’église. Une femme me précède de quelques mètres. Appuyée contre une façade, elle avance avec difficulté. Aucune envie de jouer les saint-bernard aujourd’hui. La tête droite, le pas volontaire, je la dépasse sans un regard. Une voix lente, soudain, chemine jusqu’à moi :

_ Excusez-moi… vous pouvez… m’aider ?

Fait chier.

Je me retourne.

_ S’il vous plaît… j’ai du mal à marcher.

Elle doit avoir dans les trente ans. Pas vilaine. Mais le cheveu est triste, plaqué sur le crâne comme après une nuit de fièvre. Pull bleu, jean délavé, tennis.

_ Vous allez où ?

_ Rue **, un peu… plus bas.

Je connais. Ce n’est pas loin, en effet. Mais à l’allure où elle va, ça nous prendra bien dix minutes. Enfin… je ne suis pas à dix minutes près. Je lui prends le bras. Elle, de son côté, me saisit la main gauche et enfourne mon pouce dans la tiédeur de sa paume. Me voilà bien. Prenant ma voix la plus douce _ l’effort qu’il me faut produire pour simplement m’adresser avec douceur à mon prochain ! _ je lui demande :

_ Qu’est-ce qui vous arrive ?

_ Une phlébite. Ça fait mal.

Elle se frotte la cuisse droite en grimaçant.

Phlébite… Encore un mot qu’il me faudra chercher dans le dictionnaire. Ça m’a l’air d’une belle saloperie, en tout cas. Clopin-clopant, nous avalons une vingtaine de mètres sans échanger une parole. Gratinée, ma B.A. du jour. Combien de Points-Ciel va-t-elle me rapporter ?

_ Excusez-moi. Je vous embête…

Elle a tourné la tête vers moi en prononçant ces mots. Son haleine avinée me fusille les narines. Curieux, avec mon odorat, que je ne l’aie pas sentie plus tôt. Je comprends mieux, maintenant, le débit un peu engourdi de sa parole. Je la rassure :

_ Mais non, vous ne m’embêtez pas. Ça me fait plaisir.

_ Je sais… je sais…

Elle serre mon pouce avec une ferveur qui m’inquiète un peu.

_ Vous avez… une cigarette ?

_ Ah non. Je ne fume pas, désolé.

Et c’est vrai que je suis désolé, sincèrement, pour une fois, de n’avoir pas l’une de ces saletés sur moi. Car je sais, pour l’avoir jadis éprouvé, tout le plaisir qu’elle eût pris à fumer, entre deux accès de phlébite. De temps en temps, elle s’arrête pour se masser la cuisse avec un petit soupir de douleur qui commence à me faire mal. Nous traversons un carrefour. Bientôt, le parc de l’Hôtel de Ville, puis la rue **, à cent mètres. Elle s’arrête une nouvelle fois. Immobile, son visage est levé vers le mien. Elle me considère avec des yeux remplis de gratitude, les yeux d’un chien qu’on vient de sauver de la noyade, des yeux sublimes, verts pailletés d’or, dont l’alcool, Dieu soit loué, n’a pas encore terni l’éclat. Donc elle me regarde, et me dit :

_ Tu es mignon.

Sans doute veut-elle dire gentil.

Puis :

_ Tu as de beaux yeux.

Alors là, ça veut bien dire ce que ça veut dire, sans risque de confusion possible. Tu as de beaux yeux. M’a-t-on jamais servi un compliment pareil ? Frappé de stupidité, je ne réponds rien, et me contente de lui sourire. C’est fou tout ce qu’on peut mettre dans un sourire. Elle y trouvera bien un petit remerciement, alors que n’y point que la gêne stupéfaite d’un homme bien élevé. Je détourne les yeux _ mes beaux yeux _ et nous nous remettons en marche. Les premiers arbres du parc, dont les troncs furent curieusement peints en ocre voici deux ans, et jamais nettoyés depuis, ne tardent pas à nous saluer.

_ On peut s’asseoir deux minutes ? Ça ne te dérange pas ?

_ Non, deux minutes, ça va.

Un banc nous accueille à dix pas. Sitôt assise, elle lâche mon pouce et glisse ses doigts entre les miens, comme font les amoureux. Voilà de quoi nous avons l’air, sous les arbres peints du parc de l’Hôtel-de-Ville : deux amoureux transis sur un banc public. Pourvu que personne ne me voie avec cette fille ! Car nous sommes samedi, et j’en connais, dans l’entourage de ma mère, qui empruntent la rue d’à côté pour se rendre à la médiathèque. Assis comme sur des œufs, je me décide à rompre un silence qui s’éternise :

_ Qu’est-ce qui ne va pas, dîtes moi ?

Je ne peux me résoudre à la tutoyer. Même murgée, une femme mérite un minimum de respect.

_ C’est ma jambe… elle me fait mal…

_ Vous n’auriez pas un peu bu, aussi ?

Elle prend, pour me répondre, un air penaud que rend cocasse son ébriété tranquille :

_ Oh, juste un verre… juste un verre de rosé…

Levant sa main libre, elle en écarte le pouce et l’index de quelques centimètres.

Oui, juste un verre. Après combien d’autres ?

_ C’est dommage de boire comme ça.

J’ai l’impression de m’adresser à une gamine.

_ Mon mari m’a quittée. Ça fait une semaine. Je suis toute seule depuis une semaine.

Elle détourne le visage. Pleure-t-elle ? Non. Elle semble à sec. Je préfère. Je ne me sens jamais aussi démuni qu’auprès de quelqu’un qui se met à chialer.

Sa main, sa petite main dont la tiédeur commence à me faire de l’effet _ eh quoi, c’est une femme, après tout, ce corps pressé contre moi _ sa petite main aux ongles courts porte une alliance. Elle est mariée, en effet. Reste à savoir si elle boit parce que son mari l’a quittée, ou s’il l’a quittée parce qu’elle boit. L’œuf ou la poule ?

_ Bon… Il faut rentrer chez vous, maintenant, je vais vous raccompagner.

_ Je n’ai pas de chez moi…

_ Comment ça ?

_ Je suis à la rue… toute seule…

_ Mais… vous m’avez dit que vous habitiez rue **, tout à l’heure… vous vous êtes disputés, c’est ça ? Il vous a mis (sic) dehors ?

_ Mais non… tu comprends pas… tu comprends pas…

En effet, je n’y comprends plus rien.

Deux jeunes couples passent devant nous. Le sable crisse sous les roues de leurs landaus. Je regarde ailleurs, je voudrais être invisible. Ma voisine baisse la tête, comme accablée :

_ Ça me rappelle mes enfants…

_ Où sont-ils ?

_ Partis… avec leur père…

Un silence.

_ Qu’est-ce que vous allez faire ?

_ Rester là…

_ Sur ce banc ?

_ Oui…Oui… C’est pas un problème.

Me voilà désemparé. Car dans moins de deux heures, il fera nuit. Et cette nuit qui s’avance, encore cachée par l’horizon, je répugne à la lui laisser passer dehors, sous ces arbres comme badigeonnés de sang. Alors, que faire ? La ramener chez moi ? L’idée me traverse bien l’esprit, mais ne s’y attarde pas. Je n’ai aucune envie de la voir tituber dans ma cuisine. Que de grimaces, en perspective ! Sa phlébite, pour une fois, n’y sera pour rien. Mais le contenu de mon frigo où les seuls liquides un peu consistants sont de l’huile de colza, du vinaigre à l’estragon et du lait de soja bio. Et puis, je pense aux voisins. A la mère V., en particulier. S’apprête-t-on, le trousseau de clés en main, à franchir le petit portillon blanc de notre résidence ? On a toutes les chances d’apercevoir, à-demi cachée par un voilage, une tête blonde _ un blond troisième âge _ collée contre une vitre au premier étage. C’est là que loge, depuis bientôt trente ans, la mémoire vive de mon immeuble. Je serais mal inspiré d’y glisser un souvenir supplémentaire. Hélas, la bonté n’est pas en moi si affirmée que je puisse d’un revers de la main balayer la peur du qu’en dira-t-on. Qu’elle passe donc la nuit dehors, si ça lui chante. Que pourrais-je bien faire pour l’en dissuader, pourtant, pourtant ? Je songe qu’à cinquante mètres derrière notre dos, passé le rectangle gris de l’imprimerie municipale, se trouve le commissariat. On ne peut pas le louper : c’est le seul bâtiment avec des barreaux aux fenêtres du rez-de-chaussée. Je suggère à ma voisine de s’y rendre quand la fraîcheur du soir aura fait un peu descendre son alcoolémie _ ce qui, traduit en français courant, s’énonce ainsi : quand vous serez moins fatiguée. On lui offrira sans doute un café, et peut-être même une escorte pour la ramener chez elle, ce chez elle dont elle nie désormais l’existence.

_ Vous n’avez rien contre les flics, au moins ?

_ Non… non…

Le ton n’est pas très convaincant, mais bon… Je mets cela sur le compte de la fatigue.

Elle me fixe à nouveau de ses yeux verts, ses grands yeux verts où dansent des étoiles. Je me sens pris au piège. Mangouste ou mante-religieuse, cette blonde embrumée serrée contre moi ?

Insensiblement, imperceptiblement, s’amenuise la distance entre nos visages. Le mien ne bouge pas. Ses paupières s’abaissent. A peine ai-je de ses yeux regretté le vert admirable, que je l’entends qui murmure :

_ Embrasse-moi…

A qui parle-t-elle ? Je ne suis plus là, j’ai déserté la place, et j’attends comme en rêve la douceur d’un baiser qui ne vient pas. Ses lèvres, finalement, se posent sur les miennes. Elles sont sèches.

Je m’éloigne un peu, quelques centimètres, histoire de voir à quoi ça ressemble, une femme sur le point de m’embrasser. Elle a conservé sa posture, yeux clos, la tête un peu penchée. Une petite bouche recouverte d’un rose qui se craquelle. Une jolie bouche, ma foi, sur laquelle je suis bien près de poser la mienne _ un baiser, après tout, n’a jamais tué personne _ mais la voici qui se rapproche, son museau bientôt collé au mien, la voici qui s’en vient chercher un peu de chaleur, un peu de tendresse, d’humanité vraie, et ses lèvres s’ouvrent très doucement, ses lèvres dont le rose s’accorderait à merveille au vert de ses yeux clos, ses lèvres s’ouvrent, et c’est, entre ces lèvres roses, l’enfer révélé dans une bouffée de vinasse. Deux rangées de dents noires. Comme goudronnées. Je repousse la jeune femme avec douceur. Surtout ne pas la brusquer, taire la répulsion qui vient de jeter mon désir pâle dans l’abîme de cette bouche infecte. Alors je dis à celle qui attend un baiser qui ne viendra plus :

_ Non… non… je ne veux pas profiter de la situation…

Je ne mens pas. Quelle valeur aurait un geste tendre volé à cette femme en train de cuver ?

Elle rouvre les yeux :

_ Je comprends… je comprends…

Aucune acrimonie dans sa voix. Je respire. Car je m’attendais à une scène, la grande scène du dernier acte, toute en gestes amples et décibels :

_ J’’TE DÉGOÛTE ? C’EST ÇA ? C’EST ÇA ?

_ Mais non, mais non…

_ ALORS… POURQUOI TU M’EMBRASSES PAS ? HEIN ? QU’’ESSE QUE J’T’AI FAIT ?

_ Mais rien, rien…

_ J’EN AI MARRE ! J’VAIS M’ FOUTRE EN L’AIR !

Craignant qu’elle ne se jette en mon absence sous une voiture, j’eusse été bon, alors, pour la traîner jusqu’au commissariat, cinquante mètres plus loin, derrière l’imprimerie.

Je me lève.

_ Vous avez besoin d’argent ?

Elle ne dit pas non.

Je sors mon porte-monnaie, un vieux porte-monnaie qui part en sucette, les pièces s’entrechoquent parmi les billets, et la fermeture-éclair ne se ferme qu’à moitié, mais je l’aime bien, alors je le garde, ce porte-monnaie marron que je sors de la poche intérieure de mon blouson. Le premier billet que mes doigts rencontrent, je le prends, et le lui tends. Dix euros. Ouf ! J’ai beau n’être pas radin, cela m’eût contristé de me séparer d’une coupure plus importante.

_ Merci.

Je m’approche du banc.

_ Que Dieu vous protège, lui dis-je en déposant un baiser sur son front.

Elle esquisse un signe de croix sur sa poitrine.

_ …me protège, murmure-t-elle.

Six heures sonnent au clocher de l’église.

_ Au-revoir.

Elle lève une main, lentement, pour me répondre.

Je m’éloigne.

Vingt mètres en pente douce jusqu’à la rue. Puis trois pas sur le trottoir. Je me retourne. Très vite, comme on fait pour s’assurer que l’on n’est pas suivi. Une grande tache bleue, là-bas, sur un banc vert. Puis un immeuble LOGIREP en construction me dérobe à sa vue. M’étreignent alors deux sentiments contradictoires. Le soulagement, tout d’abord, de m’être dépêtré d’une histoire dont je redoutais l’épilogue. Et la culpabilité. De n’avoir pu faire assez. D’avoir été en-dessous de moi-même, ce moi-même que j’aspire à tendre vers les hauteurs (mais j’oublie trop souvent que ces sommets, il me faudra passer par l’Homme pour les rejoindre.) La pente s’incurve vers la gauche, et le trottoir se rétrécit ; une dizaine de mètres encore, puis la grille de l’église Saint-Germain, l’église de ma jeunesse, depuis combien de mois n’en ai-je plus poussé le battant de bois sombre ? Car nul besoin, pour m’adresser à Lui, de tout ce vide écartelé, de cet espace transfiguré sous les ogives, nul besoin d’église, en temps normal, mais aujourd’hui samedi, à dix-huit heures et quelques, j’ai encore devant les yeux une tache bleue sur un banc vert, ce bleu ciel qui bientôt deviendra nuit, alors je franchis le portail tant de fois franchi dans ma jeunesse, je pousse le battant, fais quelques pas et m’assieds sur la dernière rangée de sièges. Devant, là-bas, est une chorale d’enfants que fait répéter une grosse dame avec une guitare. Je n’écoute pas ce qu’elle chante et que reprend l’aigu vierge de ces dix voix, mais, fixant le retable où Jésus me regarde, je demande Réponse à ce qui en moi s’émeut, depuis que j’ai quitté, affalée sur un banc, une jeune femme un peu ivre. Que dois-je faire ? Répondez-moi… voilà ce que je murmure, assis sur un prie-Dieu (la femme à la guitare doit penser, aux mouvements de mes lèvres, que je récite un Notre-Père ou un Je vous salue Marie), je demande à mi-voix et fixe le triptyque, derrière l’autel, comme si Jésus allait en descendre et me répondre, mais rien ne m’est offert, rien ne m’est indiqué, Débrouille-toi ! me dit l’église, et l’air qui la remplit est bien le même hélas qu’à l’extérieur, ce n’est pas aujourd’hui que je claudeliserai contre un pilier, que j’entendrai la Voix m’intimer le chemin à suivre, le chemin du don plutôt que celui de la tranquillité, du confort qui tant m’agrée, alors je me signe, puis je me lève, un dernier regard au retable, au cas où, des miracles ont lieu parfois, puis le battant de bois sombre, les dalles du parvis, le portail par où passeront tout à l’heure les fidèles, je laisse tout cela derrière moi, et je rejoins la rue, la petite rue qui grimpe et qui descend, qui grimpe vers la mairie et descend vers la place en passant devant l’église, je ne sais soudain quel chemin prendre… Rentrer chez moi, alors que la fraîcheur va tomber et que là-bas vont s’obscurcir, comme de sang recouverts (mais aucune branche basse où l’on pourrait se pendre) de grands arbres rouges ? Je ne peux me résoudre à rentrer, si tôt abandonner ma protégée d’un quart d’heure, alors je remonte vers le parc, dix mètres à gauche, après l’église, on aperçoit déjà les premières frondaisons dans un virage, ici les troncs ont gardé leur couleur d’origine, bientôt l’asphalte disparaît, et voici la courbe lustrée d’un ponceau de pierre grège, puis la terre, à nouveau, que font crisser les grosses roues d’un landau, je reconnais l’un des deux couples. Prendre un air dégagé… faire mine de s’intéresser aux fleurs que mon ombre survole… ne pas les regarder, surtout ne pas les regarder, car je sais bien ce qu’il se diront après m’avoir croisé, si je les regarde, au sujet d’un type assis sur un banc auprès d’une fille aux yeux verts :

_ Dis, ce gars, il était pas avec sa copine, tout à l’heure ? Qu’est-ce qu’il fout là tout seul ?

_ Ils ont dû s’engueuler, alors il marche pour se calmer

_ C’est vrai qu’il a pas l’air commode. T’as vu la tête qu’il faisait, à côté d’elle ?

_ Mmmm…

_ Pourtant, elle a l’air de l’aimer

_ Peut-être qu’elle l’aime trop, va savoir ?

_ Oui, elle l’étouffe. Les pauvres, ça va pas durer…

_ Ça non.

Ils m’ont dépassé. Chuintement des roues du landau, qui va s’atténuant, puis se poursuit ailleurs. Je reprends le fil de mes pensées. Le monopolise le sort d’une inconnue que je vais conduire au poste de police, c’est décidé, le commissaire est une femme, elle comprendra, et ma conscience sera tranquille, ma chère conscience qu’un rien perturbe, ceux qui écrasent un escargot sans frémir n’ont point tant de scrupules. Un monticule, à ma droite. L’on y accède par trois volées de marches. Je m’y engage, car de là-haut _ six mètres, à peine, mais cela suffit pour découvrir le parc en son entier _ je pourrai la voir, affalée sur le banc

cinq enjambées suffisent pour gravir la butte

j’y suis, je me tourne vers le nord

le banc est vide.

Où a-t-elle bien pu passer ?

Je descends de l’autre côté, vers le bassin et son eau sage, je zieute tous azimuts, mais aucune tache bleue ne s’inscrit dans le champ de mon regard, elle n’a pourtant pas pu aller bien loin dans l’état qui est le sien, alors je remonte vers la médiathèque, je cours presque, voici la porte devant laquelle le bon Samaritain fut délogé de son sommeil, dix mètres, encore, et un coup d’œil derrière la vitre du café qui fait l’angle, un brouillard de fumée, cinq hommes au comptoir, je rebrousse chemin, direction la rue **, j’y suis en moins de temps qu’il ne lui en a fallu pour se lever du banc, c’est une petite rue qui sinue vers l’est, une rue qu’un regard suffit à parcourir, mais point d’elle, encore une fois, point d’elle arrêtée contre un mur, grimaçant en se tenant la cuisse, vide comme un dimanche est la rue de la femme aux yeux verts.

Et je songe, m’en retournant chez moi, à ces récits lus à l’âge où les filles ne m’embrassaient pas encore, je songe à ces histoires qui me faisaient frissonner de joie, d’anges venus s’incarner sous nos étoiles, le temps d’une rencontre, d’une escale entre deux mondes, venus tester notre bonté, ces anges tombés de leur ciel sous les traits de celle qui titube, de celui qui s’égare, et je me dis que l’un d’eux a peut-être aujourd’hui croisé ma route, s’est peut-être assis à mes côtés, sa main dans la mienne, et qu’il est vain, sans doute, à l’heure où se remplit l’église, d’espérer le retrouver.

(Extrait de Mauvais œil, Journal, octobre 2003)

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